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Tag - Reconnaissance sociale

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lundi 3 septembre 2012

Pour un Web de la conversation à objectif (4)

Ce billet est consacré à l'illustration des principes proposés dans quelques cas d'utilisation (voir les autres billets du même titre).

Prenons d'abord le cas d'une conversation dont l'objectif est d'échanger des expériences, plus exactement des récits d'expériences personnelles. On peut imaginer que préalablement à la conversation proprement dite, chaque participant développe un site de présentation de son expérience selon une structure convenue, dont les éléments seront les thèmes de la conversation. On peut imaginer que les interactions entre participants porteront principalement sur des demandes de précision, suite par exemple au constat que certains thèmes auront "mieux" détaillés que d'autres. Rien ne s'oppose à ce que plusieurs interactions se déroulent en parallèle dans le temps (au contraire par exemple d'une conversation de recherche en commun de la résolution d'un problème bien cadré). On peut aussi imaginer que l'on en profite pour constituer un catalogue commun des expériences des uns et des autres, offrant un moyen d'accès plus direct qu'un moteur de recherche généraliste; alors les entrées de ce catalogue, les mots clés associés, seront proposées par les participants au fur et à mesure de leur progression.

Prenons maintenant le cas de l'élaboration d'un contrat d'entretien d'un moyen technique (camion, éolienne, générateur, ...), à partir d'un cadre convenu donnant la suite des thèmes de la conversation, ou même à partir d'un projet à critiquer, qui sera lui aussi au préalable découpé en thèmes. Dans ce cas, le niveau de parallèlisme de la conversation doit en pratique être convenu pour correspondre à des groupes de thèmes et de participants (évidemment, un participant donné pourra contribuer à plusieurs groupes de thèmes). Dans chaque sous-conversation ainsi constituée, les interventions seront en revanche linéarisées comme dans un forum à un seul fil de discussion par ordre de datation (si les participants sont répartis sur plusieurs fuseaux horaires, cela implique de dater en GMT). La grande différence avec un forum classique, c'est la visualisation et la facilité de référence aux propositions dans l'oeuvre commune en constitution (ici, le nouveau contrat).

On conviendra que les règles de politesse et de cheminement des conversations puissent être fortement particulières aux divers cas évoqués.

Cependant, plutôt que de figer un fatras de règles a priori (ne pas oublier qu'on pourra les proposer encore au cours de la conversation), il est important de s'accorder au départ sur l'état d'esprit d'une conversation à objectif sous étiquette. L’histoire et la littérature nous ont suffisamment décrit les limites et les ravages des approches fondées sur la promotion des personnalités, des personnages, des pouvoirs, des valeurs absolues, des rêves et des raisons, encore exprimés dans tant de discours et d’attitudes. La conversation à objectif sous étiquette nous offre précisément un cadre pour s'en affranchir. Le modèle de l'arriviste sympathique (c'est à dire le contraire de l'arriviste rivalitaire qui cherche seulement à "tuer" les autres) représente une forte recommandation, presque une contrainte naturelle. En rapport avec la représentation des participants à 4 niveaux mentaux, l’arriviste sympathique évite d'indisposer ses interlocuteurs (pas de choc au niveau 4 des jardins secrets) tout les faisant s'exprimer prioritairement aux niveaux des projets pour surmonter le filtre des traits culturels. Mais il ne pourra probablement pas parvenir à un accord sans une convergence même très partielle au niveau des construits mentaux du niveau 3. Tout l'art de l'arriviste sympathique est là, dans ce minimalisme de la convergence recherchée. Evidemment, ce sera plus ou moins sportif selon le contexte, mais nettement plus facile si tous les participants adoptent la même attitude.
IMG_3801.jpg

NB. Les émoticones, véhicules des états d'âme dans la simulation d'une crise d'hystérie euphorique, ne sont évidemment pas proscrits dans les contenus des interventions. Mais, sont-ils adaptés à l'état d'esprit de l'arriviste sympathique tel que nous l'avons défini, ou plutôt ne trahissent-ils pas une forme de manipulation ? Cela peut dépendre du contexte.

samedi 1 septembre 2012

Pour un Web de la conversation à objectif (3)

En complément des deux billets précédents sous le même titre, voici quelques remarques destinées à faciliter la compréhension de nos propositions et à en confirmer l'intérêt, même à notre époque de communication.

L'ébauche d'étiquette-mère présentée dans le deuxième billet est spécifiquement destinée à faciliter l'établissement de relations constructives entre des personnes de cultures et de langues différentes. L'instrumentation à base de couleurs de jeux de carte, de panneaux de signalisation routière, de caractères spéciaux courants en informatique... n'est évidemment pas fortuite. Par ailleurs, le principe et l'instrumentation de l'étiquette sont conçus pour qu'un automate de traduction automatique soit performant.

Dans les interactions d'une conversation à objectif sous étiquette, les comportements des participants deviennent objectivement observables. Il devient plus facile de se comprendre, notamment du fait que les comportements "pathologiques" des participants relativement aux autres leur apparaissent nettement, aux uns et aux autres. Concernant les pathologies nocives au déroulement de la conversation elle-même, il est possible d'établir des règles de politesse et de cheminement permettant de les réduire, parce que tous les participants peuvent s'accorder a priori sur de telles règles. Par exemple : limitation à l'intérieur d'une tranche temporelle du nombre de références à une personne, un thème ou une proposition afin d'éviter les effets de harcèlement ou d'avalanche; limitation d'utilisation des couleurs majeures par chaque participant, afin d'éviter les montées aux extrèmes, etc.

Il serait amusant d'analyser les débats télévisés ou radiophoniques, en particulier les confrontations entre représentants de tendances politiques opposées, en les redéroulant artificiellement dans un cadre de conversation à objectif sous une étiquette générique proche de l'étiquette-mère proposée au billet (2). L'exercice révèlera certainement quelques pathologies grossières, aussi bien dans la définition de l'étiquette que dans le déroulement du débat. A la décharge des organisateurs, d'un point de vue purement technique, l'objectif de ces débats n'est jamais d'atteindre une position commune sur quoi que ce soit, mais de valoriser les protagonistes et les animateurs selon des critères d'effet médiatique. Autrement dit, ce sont des exercices de style presqu'entièrement au deuxième degré, à l'opposé des conversations à objectif au premier degré au sens où nous l'entendons dans le billet (1).

A titre de détente au troisième degré, posons-nous la question de l'intérêt relatif des ouvrages suivants en regard de nos propositions. Nous nous permettons de recommander le premier, il dit beaucoup en quinze pages.

bonslivres.jpg bonslivres.jpg

Comment discerner qu'une conversation à objectif reste au premier degré ? C'est impossible, aucun système ni aucune personne ne peut contrôler le sens des contenus échangés dans une conversation. En revanche, la convention d'un objectif commun et d'une étiquette d'interaction imposent un cadre de convergence peu propice à la poursuite d'exercices d'acrobatie mentale. A l'extrême, si les participants se mettaient d'accord sur une parodie d'objectif et d'étiquette, leur brillante communauté virtuelle ressemblerait tellement à une quelconque vraie société, que leur projet de moquerie se viderait de lui-même.

Quel peut-être le bon état d'esprit d'un protagoniste dans une conversation à objectif sous étiquette ? Nous avons fait allusion passagèrement à un profil de diplomate. A la réflexion, ce n'est pas le meilleur choix, malgré le prestige qui lui est attaché. En effet, le comportement du diplomate est alourdi de rituels de connivence élitiste et de maneuvres de convergence. Au contraire, notre bon participant ne cherche ni à assimiler les autres ni à s’assimiler aux autres. A l’inverse du diplomate, son intérêt bien compris est de renforcer chacun de ses correspondants dans sa particularité et son génie, et d’autant plus si la particularité et le génie de ces correspondants dépassent ses propres facultés, car il se nourrit des différences et l'étiquettte lui permet de se servir de l’opposition éventuelle. De plus, au contraire du diplomate qui fait excuser ses maladresses au prétexte de sa bonne motivation, le bon participant ne devrait jamais présenter ses motivations personnelles autrement qu'en conséquence de l'objectif commun. Le bon participant est une sorte d'arriviste intelligent pratiquant naturellement la réciprocité d'intérêt général.

C'est aussi pourquoi la modélisation générique du participant à quatre niveaux, même particularisée dans un contexte donné, doit rester générique, au sens où les contenus restent propres à chaque individu à chaque niveau, et inconnus des autres participants. Il est fondamental que le "quant à soi" de chaque participant ne soit jamais publié, mais qu'il puisse être exprimé par chaque participant en tant que de besoin et compris en tant que tel par les autres. En revanche, si le type de conversation et l'objectif imposent la connaissance partagée d'informations individuelles, dans la phase d'élaboration de l'étiquette, on pourra cataloguer ces éléments de "trésors" individuels strictement sélectionnés comme des thèmes de discussion mis en commun. Le modèle générique du participant ne prétend pas représenter l'être humain dans son intégralité, c'est seulement un instrument d'explicitation du comportement individuel dans une conversation à objectif. Cependant, même ainsi, par rapport à une interprétation mécaniste, il s'agit d'un anti-modèle, puisqu'il ne suppose aucune cohérence logique des contenus individuels des différents niveaux ni même à l'intérieur d'un niveau donné (sauf le niveau 2 des projets rationnels), à l'instant ni en évolution dans le temps. D'ailleurs selon quelle logique, ou plutôt selon quel système de valeurs pourrait-on en juger ?

Pour conclure. Sur ce blog, nous appelons à la création de sociétés virtuelles. Nous espérons que notre travail en aura rapproché la réalisation.

Pour un Web de la conversation à objectif (2)

Merci par avance de votre indulgence, et si ce n'est déjà fait, de bien vouloir relire auparavant le premier billet sur le même sujet.

Car nous pénétrons un territoire mental peu fréquenté ces derniers temps dans l'histoire humaine...

Pour parler vraiment avec les autres, il faut apprendre à leur parler de soi et à ne pas leur parler de soi. Tous les professionnels de la parole le savent. La difficulté naturelle traduite par ce paradoxe existe dans toutes les cultures, y compris les moins individualistes. Ainsi, on peut se parler pendant des heures sans rien se dire, c'est d'ailleurs la plupart du temps ainsi, pour des milliers de raisons propres à chaque culture. Dans un autre registre, l'art des trafiquants de la parole pour gruger leurs interlocuteurs repose sur un déséquilibre contrôlé des termes du paradoxe, très souvent au centre de leur maneuvre.

Voyons comment construire les éléments d'une étiquette à la hauteur de ce paradoxe, dans le cadre de référence présenté dans le premier billet sur le même sujet.

Le format d'un billet oblige à une effroyable simplicité. Tant mieux.

Mettons-nous donc dans la tête d'un participant en train de concevoir la rédaction de sa prochaine intervention, dans le cours des interactions de la conversation.

Je peux si nécessaire commencer mon intervention par la communication d'un niveau de ''quant à moi'". Je le fais par une couleur d'annonce.

TREFLE.JPG Trèfle. Mes traits culturels de comportement, auxquels j'ajoute mon interprétation de l'étiquette commune d'interaction (ce qui me permet de m'exprimer pendant l'élaboration de l'étiquette elle-même et ensuite sur son respect)


CARREAU.JPG Carreau. Mes projets en cours, mes activités planifiées personnelles dans ma vie



COEUR.JPG Coeur. Mes construits mentaux, théories, croyances, le sens que je donne à certains mots (tout cela peut-être avec incohérences et approximations)


PIQUE.JPG Pique. Mon jardin secret, je ne sais pas vraiment ce qu'il y a dedans, mais je sais dire quand on le piétine, et on ne touche pas !


Toujours, je donne un signal d'intention :

Proposition.jpg Je fais une proposition, une déclaration



Accord.jpg J'exprime un accord



Desaccord.jpg J'exprime un désaccord



Developpe.jpg Je souhaite un développement, une comparaison




Pause.jpg j'exprime un refus, je demande une pause


...

Ensuite, je dis sur quoi ou qui porte mon intention, par une suite de références (en cliquant sur des tableaux ou listes, je n'ai pas à taper les références ci-dessous et inversement le contenu de ces références s'affiche automatiquement en popup) :

$ numéro ou alias : un participant (si je ne précise pas, c'est moi)

~ numéro : le thème de conversation portant ce numéro dans le répertoire des thèmes communs ou le répertoire des propositions d'un participant (alors j'ajoute le $ du participant)

{ numéro : la règle de politesse portant ce numéro dans le répertoire des règles de politesse d'interaction dans l'étiquette commune

\> numéro : la règle de cheminement portant ce numéro dans le répertoire des règles de cheminement entre les thèmes dans l'étiquette commune

\# un élément extérieur (url par exemple)

Je peux insérer du texte, par exemple lorsque je détaille une proposition. Après un signal d'intention négative, je peux enchaîner une proposition dans mon intervention.

C'est simple, non ? On peut enfin dire poliment que l'on propose de revenir à un thème précédent, que l'on est profondément vexé et que l'on se retire, et on n'a plus à répéter 100 fois la même proposition pour qu'elle soit entendue.

Evidemment, l'étendue et la nature des règles de politesse dépendent principalement du contexte et de l'objectif. Dans notre proposition, on aligne tous les participants sur une seule description à quatre niveaux générique. Il est clair qu'on peut avoir plus d'imagination et définir plus précisément ces niveaux en rapport avec un objectif donné, surtout si les protagonistes interagissent dans un contexte étroit. Attention, cependant de ne pas particulariser des types de participants. Le fait que les protagonistes aient des intérêts et des priorités différentes (niveau 3) n'en fait pas des êtres étrangers les uns aux autres dans la conversation, sinon la définition de l'objectif commun de cette conversation est par avance compromise (ceci est une évidence pour tout diplomate expérimenté...). En effet, le principe égalitaire de la conversation n'implique évidemment pas l'identité des personnes, mais seulement l'égalité d'application des règles convenues entre eux.

En parallèle, les règles de cheminement peuvent être plus ou moins fournies; elles dépendent principalement de l'objectif et des thèmes (voir l'exemple de la discussion entre un acheteur et un vendeur de bien industriel, billet "Pas de dialogue sans étiquette !"). Notons que même dans notre proposition minimaliste, il est facile d'exprimer le refus devant une insistance gênante sur un thème.

Ce que nous avons esquissé avec nos moyens du bord, mais du fait de la généralité du cadre de référence choisi et malgré toutes les imperfections, est néanmoins un projet d'étiquette-mère universelle. Ce qui signifie : il appartient à chaque communauté d'élaborer l'étiquette qui convient, à partir de cette étiquette-mère-ci... ou d'une autre.

Faisons un rêve : dans quelques années, tous les engins informatiques personnels auront un clavier étendu de "caractères d'étiquette" ou offriront son équivalent via un tableau de sélection affiché par leur système d'exploitation. Et des professionnels plus doués en ergonomie que les auteurs de ce billet s'intéresseront enfin à l'interface d'humain à humain, et des chercheurs compétents (tandis que leurs collègues disputeront de mille microthèses) expérimenteront des étiquettes d'interaction sociale et enfin des ingénieurs imagineront comment les réaliser simplement (notamment en trouvant comment, à l'intérieur des conversations sur le Web, dépasser la contrainte "universelle" paralysante des liens URL univoques non datés et rigidement typés), et tout ceci circulairement....

Sinon : rien.

Pour un Web de la conversation à objectif (1)

Voici donc enfin une proposition d'étiquette (presque) universelle destinée aux interactions entre personnes dans le cadre d'une conversation à objectif sur le Web.

Ce premier billet explique pourquoi une telle étiquette est utile, même vitale dans ce cadre, et en propose quelques principes, à côté des autres conventions que les protagonistes choisissent de respecter.

Qu'il soit bien clair que nous ne prétendons pas considérer toutes les conversations, et en particulier pas celles destinées à :

  • satisfaire une curiosité spontanée, par exemple savoir si untel est toujours vivant (et éventuellement me rassurer sur mon propre cas),
  • exécuter une procédure prédéfinie de compte rendu,
  • bavarder de choses et d'autres (et notamment de moi, de moi, et de moi),
  • tenir un rôle strictement encadré par un code (ou par le texte d'une pièce de théâtre),
  • manifester l'intention de maintenir un contact social par pure sympathie, sur n'importe quel contenu, n'importe quelle musique,
  • obtenir une réponse à une question fermée dans un contexte étroit ("où se trouve le bureau de poste le plus proche ?"),
  • débattre d'idées à l'infini, par le jeu de reformulations, de déplacements du contexte, de fines suggestions dans un flot de références savantes, généralement de sorte que rien de concret ne puisse en ressortir à part l'humiliation des inférieurs culturels ou moins entraînés,
  • ...

Le neveu de Rameau représente un sommet littéraire, en même temps qu'un excellent exemple de ce qui se trouve complètement en dehors de notre cadre. On peut donc constater humblement que tout n'est pas superflu en dehors de ce cadre.
Neveu.jpg

Au fait, qu'entendons-nous par "conversation à objectif" ? Hé bien, c'est... euh, une interaction en vue d'un objectif convenu entre des personnes, pas forcément proches, qui apporte à toutes ces personnes la certitude de s'enrichir un peu, à partir des seuls contenus mis en commun des échanges au cours de la conversation. Pas forcément tout de suite au cours des interactions et pas forcément de la même façon pour chacun.

Ce n'est pas clair ? C'est normal, parce que ce type de conversation et surtout sa réussite restent malheureusement des exceptions. Cependant, vous avez certainement connu cette expérience plusieurs fois dans votre vie, et alors le souvenir ne s'en efface pas. Pourtant, nous ne parlons pas d'un "enrichissement" du genre d'une conversion philosophique, mais des modestes bienfaits des interactions avec nos semblables dans les circonstances courantes de la vie, telles que la recherche conflictuelle d'un accord contractuel, la transmission amicale de compétences culinaires, la contribution à un ouvrage collectif. Souvenez-vous, et demandez-vous pourquoi ce furent des moments si rares. Demandez-vous aussi, par comparaison, pourquoi certains trucs appris des autres, vous avez plutôt l'impression de les avoir volés, ou tout au moins d'avoir largement profité de la pudeur des donateurs...

C'est le caractère exceptionnel de la réussite d'une conversation à objectif que nous proposons de dépasser. Le Web permet cet exploit, même si ce n'est guère évident pour l'instant. Plusieurs billets publiés dans ce blog permettent d'évaluer le saut quantique à réaliser pour y parvenir. Les contributeurs des communautés de travail sur le Web (encyclopédie, logiciel, grand projet) ou des communautés d'échange à thème (clubs sportifs, forums, ... ) peuvent témoigner qu'il leur manque "quelque chose" entre les échanges de travail et les émoticones de l'euphorie sympa bon enfant. En fait, le vide d'interaction sociale est occultée par des cadres mutilants. La misère est particulièrement criante dans les séries de commentaires des blogs, même les blogs les mieux courus, et ceci indépendamment de la qualité des contributions individuelles (c'est justement là qu'est le scandale). Récemment, dans certains forums techniques, on constate la banalisation du retour d'information par le bénéficiaire d'un conseil fructueux. C'est un début de civilisation. Malheureusement, en amont, il reste la masse des aboiements idiomatiques, des banalités ignorantes et des recommandations inadéquates, qui ressortent en tête dans les réponses des moteurs de recherche.

Examinons les principales causes bien connues mais néanmoins toutes fondamentales du pourrissement d'une conversation à objectif :

  • la pesanteur des préjugés et idées fausses implicites (en particulier les préjugés des autres sur moi)
  • les blocages stupides sur des détails insignifiants (pourquoi s'est-il vexé de ma petite phrase, c'est grotesque...)
  • les changements de sujet imposés par une coalition spontanée de quelques uns (au lieu de s'intéresser à ce que j'ai dit)
  • la prétention d'un(e) imbécile à vouloir arbitrer la discussion, alors qu'il (elle) ne comprend rien à ce qui se passe (et ne discerne pas la valeur réelle de mon apport)
  • le décalage volontaire de registre par des mauvais joueurs, le second degré, les incidentes perturbantes, etc (je ne sais pas comment leur dire d'arrêter leurs bêtises, je ne fais que me défendre...)
  • la tétanisation sur un indicateur productiviste censé mesurer la performance de chacun ou du groupe (certains font la course pour faire progresser l'indicateur, d'autres font tout en sens contraire, à la fin, cela se négocie)
  • l'enfermement dans un jeu de rôles (le gentil demande plus d'explications, le méticuleux critique la syntaxe, le rusé balance des sacs pleins de contre arguments, le malin relève les contradictions, le matamore fait le beau...)
  • la précipitation à trouver une conclusion (le ressort de tant de manipulations)
  • ...

Tenter d'échapper à l'inévitable enlisement de toute conversation à objectif, c'est se précipiter sur une voie déjà fortement encombrée et sans gloire vers diverses fausses solutions. Parmi les plus expérimentées, citons l'imposition d'une forme totalitaire de pression mentale, ou l'acquisition d'une potion magique sur l'étagère d'un vendeur de (son propre) développement personnel. Ces solutions ne peuvent évidemment au mieux que déplacer les niveaux respectifs d'influence des facteurs du pourrissement.

Reconnaissons plutôt qu'il ne peut exister ni vaccin ni remède, évidemment pas dans le libre jeu des marchés, et pas plus dans les ruminations des savants bien assis.

Il nous reste la liberté d'innover pour nous donner le pouvoir de surmonter les facteurs négatifs, à défaut de pouvoir s'en affranchir. Ailleurs dans ce blog, on expose pourquoi et comment une étiquette adaptée peut permettre de conduire une conversation à objectif, certes sans garantie du succès, mais en équipant les participants du pouvoir de calmer les démons et de réduire leurs effets dès leur apparition. Comme tout pouvoir, on peut en user ou pas, avec adresse ou pas.

Dans le cadre limité d'une conversation à objectif sur le Web, on bénéficie d'un contexte technique plutôt favorable, à condition de résister aux tentations de l'usage naïf de la technologie. Historiquement, la tentation majoritaire est de se ramener au modèle de la discussion en pleine rue (le Web comme visiophone). Une autre tentation est de se soumettre à un modèle d'échange informatique entre robots pensants (le Web des jolis formulaires et des pages formattées).

Nous nous situons toujours dans un mode de conversation classique sur le Web, par écrit, en temps différé ou en temps réel. Notre hypothèse de référence est celle d'une communauté égalitaire de participants répartis entre plusieurs fuseaux horaires et contribuant à une oeuvre commune, dont les éléments sont répartis entre les participants (genre trésor personnel) ou sont rassemblés pour un usage collectif (genre trésor de l'humanité ou d'un de ses sous-groupes).

Nous proposons l'instauration d'une étiquette d'interaction à convenir entre les participants en fonction du type d'objectif (la réalisation ou le progrès de l'oeuvre commune), du contexte général, de particularités ou contraintes des participants, etc. La définition de cette étiquette s'appuie sur quelques principes :

  • imposition de l'expression au premier degré (ce qui inclut évidemment le déconnage convenablement signalé),
  • prohibition de toute expression fondée sur la connaissance, la supposition ou la recherche d'une caractéristique de l'autre, si cette connaissance est hors sujet,
  • renonciation à la prédétermination du cheminement entre les étapes formelles de la conversation,
  • renonciation à la recherche d'une prise de conscience simultanée par chaque protagoniste de l'atteinte de l'objectif de la conversation.

Ces principes peuvent sembler contestables et imparfaits, même dans le cadre et l'hypothèse de référence. On verra plus loin que leur importance relève de la pédagogie de l'étiquette plus que de sa pratique. En revanche, il est crucial que l'étiquette d'interaction ne soit pas confondue avec une simple convention de forme ou de fond des contenus échangés, ni avec un procédé de rédaction collective particulièrement efficace. Notamment, il serait aberrant d'y inclure un indicateur de mesure productiviste : une étiquette d'interaction n'exclut pas a priori ce type de mesure selon besoin, mais par nature ne peut pas en contenir. Dit autrement, l'accord des participants sur une étiquette d'interaction doit rester indépendant des autres accords qu'ils peuvent établir entre eux par ailleurs, en particulier sur la forme des contenus, le fond, les indicateurs de progression, etc. Mais logiquement, l'étiquette d'interaction doit être établie antérieurement aux autres conventions entre les participants, juste après l'objectif commun, afin que cette étiquette puisse être mise en oeuvre dès la période constituante d'une communauté de conversation à objectif, c'est-à-dire dans la période de définition des conventions et règles communes.

Les tout prochains billets seront consacrés à la présentation développée de l'étiquette d'interaction proposée dans le cadre et l'hypothèse de référence.

Ne confondons pas "conversation à objectif" avec "dialogue de fin" ni avec "discours de clôture"...

dimanche 8 juillet 2012

Pensées non exclusives de la vie sociale


Une caractéristique des cons, c'est qu'ils sont toujours contents d'eux-mêmes, mais sans talent pour le faire savoir.
Une caractéristique des imbéciles, c'est de croire que personne ne s'en aperçoit.
Une caractéritisque des intolérants, c'est de ne pas imaginer qu'on puisse penser comme eux.
Une caractéristique des faux jetons, c'est d'être comme les autres.

Epitaphe à baffes

Un César s'encanaille, haro sur le cradot !
Vite, sauvons nos faces enspottées
Que de son mal l'impudique atteint
S'affaisse en justice et les déssouille

Aigre fin ramage des farauds devant,
Moules à fric en potées publiques
Tigres et souris au dédain matois
Malins triplomés de la républicité

Elites gâchées, trépanées du sens,
Pressées de liturgies incestueuses
Dérogeantes jalouses, intrigantes à vide
Affamées du moi pareil à paraître

Précieuses ineptes du sièculable
Gaffémies d'amers enfortunés
Vomisseuses de métafables
Fantacochères et miraboleuses

Croa, croa, croîssance, pour nous, pour moi
Par "canal icônes", on va gonfler la planète
Déficit oublié, que des bonus
Et la sélection naturelle par les marchés

lundi 11 juin 2012

Pas de dialogue sans étiquette !

Ce billet est sans rapport avec les élections législatives en cours. Cependant, il concerne notre avenir social.

Entendons par dialogue une forme de relation sociale entre des personnes qui cherchent un accord au travers de ce dialogue. L'accord est à comprendre dans un sens très général. Comme son analogue musical. l'accord peut être banal ou original, final ou transitoire, etc.

Entendons par étiquette un ensemble de conventions communes qui permettent aux protagonistes de dérouler leur dialogue. Et considérons la capacité de créer une étiquette et de la partager comme une caractéristique humaine plus large que celle du langage, adaptable à tous media, génératrice de toute forme d'expression sociale. Enfin, préférons "étiquette" à "code", car ce dernier terme véhicule l'idée d'une contrainte d'application automatique (jusqu'à l'enfermement mental et physique individuel), alors que l"étiquette suppose une invitation, souvent associée à une connotation ludique - il s'agit bien du jeu social.

Remarque en passant. "Le code d'ouverture du coffre est sur l'étiquette". Cette expression, où "code" et "étiquette" sont pris dans leurs acceptions banales, peut sembler contester les définitions proposées. On peut cependant y discerner une confirmation : le code est bien ce qui enferme et contient, alors que l'étiquette reste à l'extérieur et rend maître du code !

Illustrons nos définitions par un exemple de la vie des entreprises, celui de la négociation entre un acheteur et un vendeur, tel qu'elle est présentée dans un ouvrage de référence "Acheter avec profit, guide de négociation de l'acheteur professionnel" par Roger Perrotin et Pierre Heusschen (Editions du Moniteur, 1989). Il s'agit de créer les conditions d'un accord entre un acheteur et un vendeur sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation : prix, conditions de paiement, délai de livraison et de réapprovisionnement, garantie de qualité, emballage, services associés, conventions d'échanges informatisés, calendrier des prévisions de besoins, etc, etc. L'accord résultera d'une négociation sur chacun des critères objectifs connus du vendeur et de l'acheteur; ces critères sont objectifs parce qu'ils sont déterminés par la nature du produit ou de la prestation dans le contexte de la négociation. Chacun des protagonistes connaissant l'entreprise de l'autre, il peut classer ces critères objectifs en fonction de sa propre marge de négociation et, sur un autre axe, de la marge de négociation qu'il suppose chez l'autre. Il obtient alors un tableau de classement croisé qui lui présente les critères objectifs sur lequels la négociation promet d'être difficile (ceux pour lesquels la marge de négociation de l'un et de l'autre est faible), à l'inverse des critères peu conflictuels et parmi ces derniers, des critères "jokers" importants pour l'un des protagonistes mais pas pour l'autre. Une bonne tactique de l'acheteur consiste alors à conduire la négociation de case à case sur ce tableau dans un ordre qui lui permette à la fin d'obtenir un accord global satisfaisant (ce qui peut nécessiter le constat provisoire d'un blocage, d'où l'utilité d'une réserve de "jokers" pour redémarrer).

La personnalité de chacun des protagonistes intervient à double titre : dans la détermination du cheminement sur le tableau et dans l'expression (formules de politesse, questions ouvertes/fermées, types d'objections ou argumentaires et manières de les exprimer, etc). Cette potentialité de complexité foisonnante peut être réduite dans un cadre commun de référence : typologie des styles d'acheteur et de vendeur, caractérisation des tendances inefficaces des uns et des autres, ensemble minimal de règles de l'empathie transactionnelle dans ce type de négociation. Il devient alors possible pour chacun des protagonistes de mettre en oeuvre une tactique adaptée, d'éviter les situations de blocage ou de les résoudre.

Au total, ce qui est décrit dans ce guide de négociation, c'est une étiquette au sens défini en introduction. Si le cours réel de la négociation révèle des affrontements inattendus entre l'acheteur et le vendeur, par exemple du fait d'erreurs d'évaluation des marges de négociation ou du fait d'évolutions imprévues des styles de négociation adoptés, alors d'autant plus, cette étiquette sera le recours commun, parce qu'elle permet à chacun simultanément de percevoir la nécessité des ajustements, leur nature et leur portée souhaitables, puis de conduire leur réalisation dans un cadre commun - à ce titre l'étiquette est constitutive du métier des protagonistes dans leur relation conflictuelle. Clairement, même et surtout dans un contexte déterminé par la recherche d'un objectif précis, l'étiquette n'est pas le décor ni l'ustensile du dialogue, mais sa méthode.

IMG_3727.jpg

En généralisant juste un peu, les catégories de composants d'une étiquette de dialogue à objectif se dégagent :

  • référentiel des types de protagonistes en vue du dialogue pour l'objectif global poursuivi (ex styles d'acheteur et de vendeur)
  • référentiel d'affichage de la progression du dialogue en vue de l'objectif global poursuivi (ex tableau croisé des critères selon leur criticité pour chacun des protagonistes)
  • règles de cheminement du dialogue pour atteindre l'objectif global poursuivi (ex passage sur les cases à faible niveau de conflit jusqu'à obtenir un équilibre permettant, en conservant quelques jokers, de traiter les cases plus conflictuelles)
  • règles de préservation de l'empathie pour la continuation ou la reprise du dialogue en vue de l'objectif global poursuivi (ex comportements à éviter, comportements déclencheurs d'accords minimaux)

Notre ouvrage sur la transmission des compétences à l'ère numérique (voir le lien "Essai sur un web alternatif") contient une proposition d'étiquette adaptée à la transmission des compétences personnelles, évidemment bien différente de celle de la négociation entre acheteur et vendeur. Cependant, on y retrouve les catégories de composants listées ci-dessus. Ce n'est pas étonnant, il s'agit de fondamentaux méthodologiques, une analogie avec la musique concertante peut être éclairante.

Dans tous les cas, la mise en oeuvre sur le Web d'une étiquette de dialogue à objectif implique, par nature, la création d'une société virtuelle spécifique.

Pour ce faire, à l'évidence, le Web actuel doit être dépassé. Ce Web-là est devenu un jouet hypnotiseur à prétention universelle, instrumentalisé par les marchands et les manipulateurs. Les emoticones d'état d'âme, les réseaux sociaux banaliseurs, les services outilleurs de propagandes, les encyclopédies de l'instantané, les clics d'achats faciles par carte bancaire, les traductions automatiques ineptes, la netiquette en bouillie pour chat, et in fine la déclaration universelle des droits de l'Homme... : pauvreté de la socialisation sur le Web actuel, faiblesse de ses fondements techniques, misère de ses idéaux. Hélas, "le media est le message" comme disait un prophète du village planétaire, et nos savants se perdent dans ses détails insignifiants et ses oripeaux.

Le Web des innovations sociales reste à inventer, pas comme un miroir ni une extension du monde réel, mais comme l'espace des sociétés virtuelles en tant que nouveaux territoires du monde réel. Scandale : c'est possible ! Avec "dialogue" et "étiquette"...

jeudi 10 mai 2012

Petite Poucette en chemin

Enfin un ouvrage à la hauteur de la révolution numérique !

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Petite Poucette est à lire et à relire, d'autant plus que la prose est délicieuse, que les 80 pages de gros caractères n'abiment pas les yeux et que leur contenu libère l'esprit. En cas d'allergie à la poésie, on peut sauter les deux derniers paragraphes, de toute façon non conclusifs.

C'est un livre d'apparence gentillette, en vérité dérangeant, révolutionnaire. Les gouvernants, les décideurs, les directeurs de conscience, les savants, les enseignants, les parents, tous les diseurs de notre humanité, en prennent pour leur grade face à Petite Poucette.

Petite Poucette est aussi un livre de sagesse, on peut poursuivre la lecture sans jamais se sentir contraint d'être d'accord sur tout.

Le plaidoyer pour une nouvelle démocratie libérée du carcan mental de la page (raccourci osé, pardon) pourrait trouver quelques échos dans le présent blog, notamment dans nos propositions sur les sociétés virtuelles.

Quelques critiques de l'ouvrage, tout de même.

Première critique mineure. La sortie du cadre de la page dans la forme et dans l'organisation du savoir, c'est un sujet de recherche en informatique qui date des années 70, et d'où sont issus notamment Smalltalk et le concept fondateur du Web (le lien URL, d'ailleurs techniquement très imparfait, cette imperfection n'étant que partiellement compensée par les moteurs de recherche, mais c'est une autre histoire). Dans Petite Poucette, la libération mentale du format livresque de la page est étendue à l'architecture urbaine, ensuite encore plus généralement aux modes de pensée et aux façons d'être en société. L'entreprise a belle allure, pouquoi oublier ses fondateurs ?

Deuxième critique. S'affranchir de la page sans s'affranchir du langage qui permet de remplir la page, c'est faire la moitié du chemin, et c'est carrément se tromper de chemin que d'espérer atteindre l'universalité par le truchement des traductions automatiques. Pour nous libérer des formalismes caducs de l'oral et de l'écrit, il nous faudra faire appel à notre capacité humaine de création langagière. Le langage dont nous avons besoin existe déjà. Dans toutes les cultures, avant, par dessus, ou à côté de l'expression orale ou écrite, la codification des échanges et des comportements dans les relations humaines repose sur une "étiquette", c'est-à-dire sur un langage des attitudes, des mimiques d'états mentaux, des façons de dire ou de ne pas dire, de faire ou de ne pas faire, etc (l'ignorance de l'étiquette est l'une des raisons de l'incomplétude des traductions automatiques). Mais le domaine privilégié naturel de l'étiquette, c'est la relation humaine en vue d'objectifs communs précis. La pratique de l'étiquette est donc diversifiée et spécialisée, comme les sociétés virtuelles à créer et comme nos identités codifiées dans ces sociétés virtuelles. Et, précisément du fait de cette spécialisation qui la fait échapper aux prétentions totalitaires et aux mythes de l'absolu, et parce qu'elle naît de la constitution commune à tout être humain dans la nature qu'il habite, une étiquette particulière peut facilement devenir universelle. Les signes du code de la route en sont un exemple. Les emoticones de Petite Poucette annoncent-elles maladroitement les langages d'étiquettes du futur ?

Troisième critique. La distinction fondamentale entre savoir et compétence mériterait un développement. Le "renversement de la présomption d'incompétence" est une belle formule, c'est le titre d'un chapitre qui ouvre une réflexion bouleversante sur une nouvelle forme de démocratie, tandis que la question de la transmission des compétences reste hors champ, alors qu'elle appartient pourtant aussi bien aux thèmes centraux de la révolution numérique. Car Petite Poucette peut tout savoir sur tout (à partir de ce qui est disponible sur le Web), mais comment sait-elle quoi faire de son immense savoir potentiel et atomisé, et qui peut lui indiquer les chemins vers son destin multiple ? Euh oui, justement, elle cherche un boulot... Ou, plus exactement, une reconnaissance autre que celle d'un hyper miroir ?

On peut tirer de Petite Poucette (le livre) un message euphorique sur l'avenir, on peut y lire aussi un avertissement : nous pouvons souhaiter, préparer une révolution, aussi importante dans l'histoire humaine que celle du néolithique, mais rien n'assure qu'elle se fera.

mercredi 9 mai 2012

Entonnoir du savoir, déchiqueteur des compétences

Le Web comme conteneur des compétences humaines, c'est l'une des plus dangereuses fadaises de notre temps.

En voici les raisons en 3 points.

Point 1. De la relativité des connaissances

Tout savoir humain est exprimé dans une culture, à une époque, en référence à un contexte, etc.

Du point de vue de l'imprégnation par la propagande décennnale, les contenus du Web ne sont pas pires que les encyclopédies en plusieurs volumes (ou DVD) d'antan.

Mais il est minable que ce contexte de création de chaque élément de savoir ne soit pas systématiquement restitué sur le Web. On se satisfait de singer les encyclopédies "les plus complètes à la poursuite de la vérité absolue" ou de nous fourguer une liste de réponses à nos questions, classées en fonction d'algorithmes fondés sur des fréquences d'utilisation. On pourrait faire beaucoup mieux.

Voir plus loin ce qui serait nécessaire pour conserver ledit contexte et la possibilité d'un jugement autonome de pertinence des contenus du Web.

Point 2. De la volatilité de l'expression des connaissances

Regardez notre chère Wikipedia. Essayez les liens externes de référence en bas des articles et constatez combien ne mènent plus nulle part. C'est que le Web évolue constamment disent les enthousiastes. Oui, mais si nous voulons conserver un savoir cohérent, il faut une stabilité, y compris des références externes, sinon autant y renoncer dès le départ.

Ce n'est pas facile. Les développeurs de logiciels connaissent la difficulté des changements d'environnement de création de leurs logiciels : pour maintenir pendant plusieurs années les logiciels développés, il est obligatoire non seulement de sauvegarder des "états cohérents" de ces logiciels et de leur environnement de développement, mais de savoir repérer régulièrement les variations d'environnement moins immédiat dont celles dans les appels aux entrailles du système d'exploitation. Il est criminellement naïf d'espérer qu'une référence à quelque chose dont on n'est pas maître sera encore valable dans 6 mois - voir la vitesse d'évolution de logiciels piliers du Web tels que Apache, PHP, sans parler des compilateurs !

Ce qui aurait posé les bases d'une gestion du savoir sur le Web, c'est une conception bidirectionnelle du lien URL. On est bien obligé de se contenter du lien monodirectionnel tel qu'il existe, mais, du fait de ce loupé originel, actuellement personne ne se soucie vraiment du problème de pertinence des liens dans le temps. Les destinataires de ces liens ne sont pas conscients de l'existence des références vers eux; on ne voit pas comment ils pourraient se sentir engagés à prévenir leurs "abonnés" des changements de contenus. Du côté des poseurs de liens, la création d'un lien externe est encore considérée comme une sorte de faveur gratuite (?) au destinataire, alors de quoi peut-on se plaindre si le lien se perd ou pointe vers un contenu qui a changé ?

Au-delà de la continuité de la pertinence des références externes, il faudrait également se poser la question de la pérennité sémantique d'un contenu après 10-20-30 ans. Par exemple, un article d'encyclopédie se réfère souvent implicitement à des expressions, à des façons de présenter, propres à une époque voire à une corporation. Tous les liens idéalement souhaitables (10-20-30 ans plus tard...) vers d'autres articles de l'encyclopédie et encore moins tous les liens externes ne peuvent être explicités à la création. On pourrait dans beaucoup de cas se prémunir des conséquences de ces imperfections inévitables en créant des liens systèmatiques à des collections de journaux et dictionnaires, archivés en parallèle des états-versions historiques des contenus à vocation pérenne.

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Point 3. De la distinction vitale entre connaissance et compétence

Une compétence est un savoir faire qui s'exprime par la mise en oeuvre de connaissances en vue d'un objectif pratique, dans un contexte qui peut être variable et imposer des adaptations. On parle trop couramment de "contrôle des compétences" dans certaines institutions d'enseignement, alors qu'il s'agit simplement de contrôle de connaissances.

L'expression écrite d'une compétence prend normalement la forme d'une procédure, et si cette procédure est complète, elle précise ce qui est immuable et ce qui est susceptible de tolérances ou de variantes dans la réalisation, dans quelles conditions, dans quelles limites, etc. Dans les cas complexes, il est rare que l'on sache décrire complètement une telle procédure à cause du nombre des interactions possibles entre les divers paramètres (et parfois aussi, faute d'accord entre les experts); si l'enjeu est important (chirurgie, centrale nucléaire,...), on évacue la complexité en définissant des limites de certains paramètres réputés critiques dont le franchissement est interdit ou nécessite de "faire appel à l'expert". On a revu récemment les résultats catastrophiques de l'application de telles procédures. Il faut se rendre compte que, même pour transmettre une recette de cuisine, une rédaction exhaustive est pas si facile, dès lors qu'on doit souvent se débrouiller avec les ingrédients et les ustensiles qu'on a sous la main.

Une compétence n'est pas assimilable à une catégorie de super-connaissance procédurale, car, comme les connaissances sur lesquelles elle s'appuie, elle est soumise à un contexte implicite dont les variations dans le temps peuvent entraîner sa désuétude ou nécessiter sa refonte. Autrement dit, une compétence possède une vie propre, par dessus les connaissances. En outre, dans la vie sociale, on doit couramment mettre en oeuvre plusieurs compétences de manière coordonnée, ce qui peut en soi constituer une compétence spécifique.

A titre d'illustration, voici quelques exemples d'évolutions forcées ou de disparition de compétences : l'influence des changements de technologies et la révolution numérique dans la mise en oeuvre des compétences techniques d'ingénieur, la disparition des soudures en plomberie, les changements d'ingrédients et des ustensiles pour la cuisine en parallèle des évolutions du goût dans la remise en cause des compétences à réaliser des recettes savoureuses, etc.

La reconnaissance des compétences n'est malheureusement pas dans le vent de notre histoire contemporaine. En effet, cette reconnaissance représente un obstacle à la robotisation des tâches sous prétexte de "qualité" dans l'industrie et les services. De plus, pour les individus dans leurs groupes sociaux, la reconnaissance des compétences constitue une structure naturelle de résistance aux propagandes destinées à réduire les individus à des catégories planifiées de comportements, d'opinions et de goûts, L'idéologie économiste ambiante qui justifie l'égoÏsme au prétexte que l'intérêt général serait la résultante des intérêts particuliers dans ses modèles mathématiques simplistes se traduit par un comportement individuel de pillard et de profiteur; la dimension de reconnaissance sociale par la compétence y est carrément écrabouillée. Ce n'est pas mieux dans les théories dites progressistes à partir de la lutte des classes.

Le partage, la transmission, l'échange de compétences est un acte social privé, qui suppose une reconnaissance croisée du donateur et du bénéficiaire. Une utilisation très basique du Web en faveur de ces objectifs peut se limiter au rôle d'entremetteur (RERS) dans une zone géographique. Mais, pour la transmission des compétences avec une visée mondiale, on est conduit à envisager la création d'une société virtuelle spécifique d'individus anonymes (pour s'affranchir des pesanteurs sociales régionales et culturelles), avec des règles de comportement universelles et minimales, adaptées au strict besoin d'échange de compétences. Alors, clairement, il faut imaginer un autre Web que celui des "réseaux sociaux" généralistes et des monopoles centralisés.

Le Web est-il au service de l'humanité ou de ses idéologies dominantes du moment ?

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